Je cours. Je cours dans la forêt.
Dans la nuit, c’est la pleine Lune.
Je cours après une ombre qui se faufile très vite entre les arbres ; elle me fuit, et je déploie toutes mes forces pour l’atteindre. Il le faut ; mais pourquoi. Pourquoi je n’arrive pas à avancer plus vite.
Je perds sa trace, et je sens qu’il faut continuer, continuer de courir, et quand je commence à ne plus y croire, il y a enfin une fin à cette forêt. Et j’arrive quelque part, on dirait une clairière ... Sauf que c’est la Tamise ; sauf qu’il n’y a plus de ville, et que tout est sauvage. J’admire le clair de Lune dans le courant rapide du fleuve, mes pensées étoufées par le bruit constant de l’eau qui se déplace.
Une silhouette attire mon attention sur l’autre rive.
C’est l’Ombre, j’en suis persuadé. J’essaie de me cacher dans un buisson, mais la lumière de la Lune est si forte que j’ai l’impression qu’on ne voit que moi, et ce buisson a rétréci ... Mal à l’aise, en proie à une certaine honte, je m’apitoie mentalement sur moi-même ; cette situation est ridicule ...
Je ne vois plus l’ombre sur la rive. Très déçu, je m’extirpe du buisson devenu soudain si fort, qui me retient de toutes ses branches, perdant ses feuilles et des épines dans mon pelage. Je finis par m’en libérer sans aucune douleur malgré tout, et je regarde autour de moi.
La forêt à disparu. Tout comme le buisson. Il n’y a plus que de l’herbe verte aux reflets bleutés étranges. Tout est plat. Et sur la rive opposée, cette silhouette qui se dessine de nouveau.
Je me regarde, blanc dans la nuit, et l’Ombre aussi me regarde ; sans fuir.
La Tamise qui nous sépare est si agitée maintenant que je n’envisage même pas une traversée. D’ailleurs il y a des loups qui se noient, et je me dis oh non pas ça, et je remarque que je suis quand même bien avisé.
Je regarde l’ombre, qui n’est plus une ombre. C’est un homme, jeune, il est là au bord de l’eau, pâle dans la lumière, dans sa tenue d’Adam ; ses cheveux blancs ;
Je me place à son niveau, face à lui, on dirait qu’il ne me voit pas. Moi je vois qu’il récite quelque chose, je perçois sa voix mais je ne comprends pas ce qu’il dit. Ses yeux sont perdus dans la Lune, ses bras ouverts perçoivent l’énergie qu’elle veut lui envoyer.
Je reste ainsi béat à le contempler. Venir poser son front sur le sol humide. Puis se relever.
Il se recule d’un pas pour prendre son élan, je vois ses muscles qui se préparent à l’extension,
NON ATTENDS ! je crie, NE FAIS PAS CA !
mais aucun son ne sort, j’essaie plus fort, tout en le voyant sauter, bras tendus devant lui, entre les flots de la Tamise affamée.
NON !
Je cours le long de la rive en essayant de le voir, mais il n’y a rien,
FANG
un sentiment de désespoir
FANG
je tombe dans un trou quand je sursaute si violemment que ça secoue le matelas,
j’ouvre les yeux avide d’une bouffée d’air, ça sent la Chicorée de Joe, et l’odeur familière de nos vieux draps, calé au creux de son bras endormi, mon esprit dérive, apparaissent les lumières du prochain rêve ...