A travers la fenêtre, le rideau se tirait sur la journée et ses évènements citadins, trop abondants pour les dénombrer mais aisément devinables, pour une majorité d'entre eux, du fait de leur nature quotidienne et cyclique. Dans le carré de cette lumière déclinante, la tête de Clare y faisait de l'ombre. Son corps mal entretenu placé à son bureau sur lequel elle semblait s'être vissée dès lors qu'elle avait acquis les locaux, elle était minutieusement penchée vers des liasses de papier qu'elle avait pris soin de ramasser, parallèles les unes des autres, avec autant de précaution qu'une horlogère pour ses pièces à remonter. Elle s'était composé un agencement de faits méthodiquement triés : non par chronologie de dates, mais par séries d'évènements. Tout était parfaitement calme dans la pièce. Tout, parfaitement à sa place dans ce rangement qui avait ce sens logique à ses yeux. Finalement, elle finit par s'adosser à sa chaise, avec un soupir un peu douloureux, l'esprit plus égaré. Sa main droite, posée sur le bureau, pianota contre une des liasses. Elle avait décliné les repas de la journée. Seul son café, et deux carrés de shortbread afin d'adoucir l'amertume. Elle considérait qu'organiser un menu était une perte de temps inégalable. Elle ne se donnait plus assez de temps. Il lui semblait qu'à chaque journée, le temps lui manquait, s'effilochait entre ses doigts, requérant de sa personne qu'elle se penche pour en ramasser des bouts qui, de par leur attribut éfaufilé, retardaient l'intégralité de ses disquisitions.
C'était un sablier très écoulé, et seule à son bureau, elle usait de potions comme d'autres s'aidaient d'une canne : son esprit éloignait ainsi les pensées d'ordre plus moral et intime, et tout ce qu'elle traitait à présent, depuis ces longues semaines, bien qu'affaires personnelles, organisait cette distance bienvenue.
Au fond d'elle-même, Clare avait une seule certitude. Comme l'on sait que la Terre tourne autour du soleil, que les étoiles trop denses implosent. Sa vie serait bientôt terminée. Tôt ou tard, elle léguerait en héritage un siège vide, une vieille cafetière et des fouillis de feuilles au classement incongru.
Elle devait donc achever ce que le destin avait commencé de lui préparer. Poser un point final, sur une histoire noyée dans la masse.
Un instant, elle se souvint du sourire de Fang et de Milàn. Les deux personnes qui, à sa propre décontenance, parvenaient encore à l'érafler d'émotions malgré l'effet anesthésiant des potions. Elle eut, à son tour, un sourire, serein et mélancolique. Finalement, après avoir bu un peu de son café, la détective remonta les manches de son manteau, et se replongea dans son travail.