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Isa Randall
33 ans
Païenne


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On lui avait toujours caché la vérité , et c'était comme un grand trou noir dans sa vie. Une zone sombre et floue qui l’avait hantée depuis son enfance, et qui nourrissait ses angoisses. Ce puits insondable au creux de sa poitrine, d'où émanaient des souvenirs d'impuissance et de fatalité.

Sa mère surtout, l'avait maintenue à l'écart. Toute sa vie. D'abord parce qu'elle ne l'avait jamais considérée comme une enfant parmi les enfants, pas plus que comme une adulte parmi les adultes aujourd'hui. Elle l'avait maintenue à l'écart pour protéger Calvin, notamment, parce qu'à l'époque du drame , Calvin n'avait pas 10 ans comme elle. Et il n'avait pas aussi bien compris, ce qu'on aurait préféré qu’elle ne comprenne pas, elle. Sarah avait réussi à faire de Calvin un jeune homme bien. Rangé. Il ne posait pas de questions sur le passé. C'était le passé. Des gens morts. Ou en prison. Des criminels, dont on était mieux avisé de se passer. Calvin, malgré un manque évident, avait fait le deuil de son père.


Mais pas Isa.






Isa, à quinze ans, était tombée sur une lettre maintenue secrète pendant de longues années, que Marion avait envoyée à sa mère après la disparition de Robert, Jane et Aaron. L'emprisonnement de son père, et de Léo.. Et depuis ce jour-là Isa avait la preuve qu'il lui manquait beaucoup de pièces pour reconstituer ce passé qui l'obsédait. Depuis ce jour, elle n'avait plus aucune confiance en sa mère. Et Sarah s'était montrée de plus en plus distante avec sa fille.




Parmi les trois enfants de la meute, Isa était sans doute celle qui connaissait le mieux Marion, bien qu'elle ne la connut jamais vraiment. Elle se souvenait de son élégance, de sa voix grave et chaleureuse. Elle se souvenait de la relation privilégiée qu'elle avait avec son père Richard. Elle se souvenait que c'était par elle que tout ça avait commencé.

La lettre de Marion était arrivée de France, plus de vingt ans auparavant, et à ce jour, c'était la seule piste d’Isa.



Quand Isa partit pour la France, à l'été 2018, elle était déterminée à retrouver la trace de Marion, coûte que coûte. En remontant depuis ce mince indice.
Au fil de plusieurs mois d’enquête d’abord hasardeuse, elle retraça laborieusement le parcours de la théologienne qui n'avait cessé de déménager, année après année. Elle était passée entre les mailles de Ligma et de la Triade, visiblement, et puis à partir d'une certaine date, sembla tout simplement disparaître. Plus rien.



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Nous sommes rendus au premier trimestre de l'année 2019, c'est toujours l'hiver, et Isa patauge dans ses recherches. Elle ne trouve personne parmi les quelques contacts qu'elle a pu rencontrer, capable de lui dire ce qu'il advint de Marion.



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De retour chez son à amie à Lyon, après des mois de vadrouille à travers les campagnes françaises , Isa Randall flanche, et sombre peu à peu dans la dépression.


Les voix de sa mère et de Calvin qui joignent leurs forces dans sa tête, la poussent à tout simplement laisser tomber. Si elle ne retrouve pas Marion, c'est que Marion est morte, elle aussi, dans le plus grand secret. Sans doute éliminée par ceux qu'elle aurait risqué de dénoncer un jour ou l'autre. Elle cette pauvre Isa ne fait que s'enliser à chercher des réponses qu'elle ne trouvera jamais. De toute évidence elle ne peut pas passer le reste de sa vie à poursuivre des fantômes, au risque d'y laisser sa santé mentale ;

vautrée dans le canapé défoncé de Stéphanie , un plaid lui servant de plateau télé devant des émissions aux musiques tragiques qu’elle n'écoute qu’à moitié quand elle ne s’endort pas, jour après jour .. Une part d'elle refuse de rentrer bredouille en Angleterre pour donner raison à ses principaux détracteurs. Là bas où son père est peut être encore incarcéré, pour une raison qu’elle ignore, sans pouvoir le contacter ni avoir de ses nouvelles.



Quitte à continuer de vivre, autant rester ici en France, et prendre un nouveau départ. Garder cette porte là ouverte, quelque part.

Ce qui n’est jusque là qu’un vague projet dont Isa se défait petit-à-petit, va pourtant devenir une fatale réalité lorsqu’elle apprend qu’un dôme est sorti de nulle part et englobe toute une partie de l’Angleterre. Impénétrable de parts et d’autres, il semble s’être lié avec le destin pour lui interdire de rentrer chez elle.


Principale nouvelle, en boucle sur la chaîne informée, la Triade a été renversée …









Lundi 25 mars 2019


Ce matin, Isa est installée devant son ordinateur comme presque tous les matins, à éplucher les offres d’emploi. Son compte bancaire est au bord de l’épuisement, elle doit trouver un logement, reprendre le cours de sa vie, et vite.

Lorsqu’un numéro masqué s’affiche sur l’écran de son téléphone, elle croit répondre à un des nombreux recruteurs qu’elle a contacté, mais c'est une voix familière qui l'interpelle :


- Allô, Isa ?
Elle grimace en essayant d’identifier cette voix d’un homme d’un certain âge.
- C’est Samuel

Samuel …

- Tu sais que la Triade a été renversée à Londres n’est-ce pas … ?
Elle remet petit à petit son interlocuteur.
- Oui...oui avec le Dôme (dit elle avec son fort accent) je suis coincée ici, finalement …
- Oui …
- …
- Est-ce que tu as trouvé Marion ?
- … non ; j'abandonne.
- …….. on devrait peut être se revoir, pour discuter.
- de… qu… Okay ?

Elle a du mal à y croire.

- Quand ?
- Ce week-end, à Angers. Je suis de passage. je ne reste pas longtemps. Je repars à Nairobi.
- Oh …

Angers. C’est loin. Et elle n'a plus un rond.

- Ça ne se représentera pas avant un moment, Isa
- Bon… je… je vais trouver un moyen, okay.
- Samedi midi, sur les quais, au port, on ira manger quelque chose, ok ?
- Ok.




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samedi 30 MARS 2019



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parking de Lyon Part-Dieu, 5h08



Installée au volant de sa clio d'occasion, achetée plusieurs mois auparavant lorsqu'elle avait débarqué sur l'hexagone, Isa avait coupé le moteur, et fermé les yeux pour quelques instants, apaisée par le martèlement de la pluie battante sur la tôle. Il faisait encore nuit.

La veille elle avait pris un somnifère vers vingt heures, pour être sûre de dormir. La journée qui l'attendait l'aurait maintenue plus agitée qu'une nuit à carburer au café.



Elle laissa son esprit errer à différentes pensées, sa conversation téléphonique à demi mots avec Samuel, et leur rencontre au début de l'automne ; tout le chemin - au sens propre comme au sens figuré - qu'elle avait parcouru depuis.


Trois petits coups à sa gauche - elle s'y était faite - la ramenèrent au moment présent. Une jeune fille emmitouflée dans une épaisse doudoune, capuche rabattue, abritée sous un parapluie à carreaux verts.
La vitre descendit de quelques centimètres, laissant entrer une nuée de gouttes froides dans l'habitacle.


- Justine ?
- Oui.
- C'est ouvert. Monte.


Justine, simple adepte du co-voiturage, chargea ses affaires dans le coffre avant de venir s'installer à l'avant. C'était parti pour six heures de route et de conversation épuisante sur les dernières révélations mondiales, ponctuées de banalités.





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Port d'Angers, 12h30








- Je suis désolé de t'avoir fait venir d'aussi loin, mon avion décolle ce soir.
- Je comprends Samuel, tu as pas à t'excuser ...
- Je ne pouvais pas prendre le risque de te parler par téléphone ...
- Oui, no problem, je comprends ...

Elle se fichait pas mal de tout ça. Entre deux phrases, Samuel mangeait avec appêtit. Quant à elle, la salade qu'elle avait commandée faisait plus office de déco sur la table.
Penchée en avant, le regard insistant, elle voulait en venir au fait. Depuis une semaine, elle n'avait pensé qu'à ça.

- J'aurais pu te le dire, quand nous nous sommes rencontrés la première fois mais ... je ne sais pas, c'était très soudain, je ne te connaissais pas ... Marion a une histoire particulière, je ne voulais prendre aucun risque ...
- Mais tu as changé d'avis. C'est une question dangereuse pour moi mais ... Pourquoi ?

Samuel après un temps de pause, eut un sourire amusé.

- J'y ai beaucoup repensé. Je n'ai rien oublié de tout ce que tu m'as raconté, l'histoire de ta famille, ton père, ton oncle et ta tante, et ton cousin ... Tu aurais pu être un agent de la Triade, mais je reconnais que ce ne sont pas vraiment leurs méthodes ...
- ... oui.
- Pour tout te dire, j'ai fait des recherches sur toi, après notre première entrevue. Et je n'ai rien trouvé qui puisse me faire douter de ta bonne foi ... Quoi qu'il en soit, la Triade n'est plus. Le monde sait. Je doute que la priorité des dirrigeants, à l'heure actuelle, soit de retrouver Marion ...

Isa ne répondit rien.

Samuel se laissa le temps de manger, et Isa, par simple mimétisme, commença à découper sa salade. Elle finit par demander qu'on lui apporte un verre de vin. Son portefeuille allait pleurer, mais elle méritait bien ça.




Adossée à son fauteuil, son verre à la main, elle regardait à travers la baie vitrée, le passage d'un bateau. C'était la crise, depuis le 9 mars, pourtant malgré un certain chaos, le monde ne s'était pas complètement arrêté.

- Tu sais ... dit-elle, brisant ce long silence - depuis que je suis en France, ma vie a plus de sens que jamais. Chercher Marion ... Je crois bien que c'est ce que j'ai fait de plus intéressant jusque là ... En Angleterre, je pense que je suis aussi seule qu'ici. Je suis la seule de ma famille à vouloir revoir mon père. La seule à croire que mon cousin a survécu, quelque part ... Tout seul, lui aussi ... C'est bête, c'est juste une intuition, n'est ce pas ? Mais je crois au fond de moi, que si mon père était mort, si Aaron était mort, ils se manifesteraient ... Tu dois me prendre pour une folle ... Ils ne me laisseraient pas comme ça, chercher par tous les moyens, s'il n'y avait aucune vérité à trouver ...


Samuel qui avait terminé de manger, lui accordait toute son attention.

- C'est possible, Isa. Mais c'est possible aussi que tes espoirs trompent ton intuition ... Je ne veux pas te décourager, au contraire. Mais tu ne sais pas ce que tu découvriras. Je ne voudrais pas te savoir dévastée si au bout du compte, la réalité ne correspondait pas à tes attentes.

Elle lui sourit. Samuel était un quelqu'un de bien.

- S'ils sont morts, tous les deux ... Alors j'en aurai la certitude. Je sais pas ce que je ferai ... J'en sais rien ... J'ai jamais cessé d'y croire, à vrai dire ...

Il appela un serveur pour demander l'addition.

- Je comprends.

Il prit sur ses genoux sa saccoche, puis en tira un carnet de notes et un stylo, et commença à écrire. Quand il eut terminé, il détacha la feuille et la fit gliser sur la table jusqu'à la louve, avant de ranger ses affaires.

- C'est tout ce que je sais.
Elle était en train de lire.
- J'espère que ça t'aidera.
- C'est ... C'est plus que j'aurais pu espérer ... Merci beaucoup, beaucoup, lui dit elle, plongeant ses yeux noisette dans les siens.
- De rien.
- Et en bas, c'est ... ?
- Mon adresse, a Nairobi. Donne moi des nouvelles. Et si tu as envie de voyager un jour, avec ton père et ton cousin ...
- Sure ... yes, je t'écrirai ... !
- Bien.

Il déposa sur la table un billet de cent euros et se leva, enfila son manteau impeccable, prit sa saccoche. S'approchant d'Isa, il posa une main franche sur son épaule et elle sentit une vague d'énergie la parcourir. Elle le suivait du regard, émue, presque peinée de le voir s'en aller.

- Bonne chance.

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Tout un mur de baie vitrée invitait le regard à parcourir des forêts pyrrénéennes à perte de vue. Celui de Marion était perdu quelque part au delà.

Des mois, deux années de recherche pour la retrouver enfin, sous un autre nom, cloitrée au fin fond de la France dans cet établissement privé. Lorsqu'ils s'en approchaient, les lambdas pouvaient voir un ensemble de lagons aux eaux jaunes claires, laiteuses, cloisonnés derrière des barbelés recouverts de panneaux biohazard.




Isa avait 35 ans, désormais, et elle se retrouvait de nouveau après vingt cinq ans, en face de cette femme qu'elle avait un temps tenue pour responsable des déboires de sa famille. Son père aurait-il été en prison, s'il ne l'avait jamais connue ? Leur vie aurait-elle volé en éclats ? Pourquoi les avait-elle entraînés la dedans ? Et puis elle avait fui comme une lâche, laissant les autres payer pour elle.


Le personnel avait proposé à Isa une theière de valérianne qu'elle sirotait en observant la vieille femme, assise dans son fauteuil, parfaitement immobile.

Elle était heureuse de l'avoir trouvée, mais aussi très déçue.

Elle lui avait longuement parlé, lui racontant son départ d'Angleterre et son périple en France, où elle était uniquement pour la retrouver, elle, qui ne pouvaient peut être même pas l'entendre. Elle avait pleuré, aussi, parce que poursuivre cette mission qu'elle s'était donnée l'avait aidée à se projeter au delà de sa dépression, elle avait un but, et maintenant elle l'avait atteint ... et puis, quoi ? Rien.



Elle avait demandé à visiter la chambre de Marion, mais Marion ne possédait rien qui puisse lui apprendre plus sur son passé ; et maintenant elle était là, avec elle, à boire le thé ....



D'autres pensionnaires erratiques arpentaient le vaste et lumineux salon, enfilaient laborieusement des perles assis à une table, ou regardaient un feuilleton groupés devant la télévision. Les membres du personnel, nombreux, veillaient à égayer leur vie et répondre à leurs petits besoins.








- t o n p è r e t e c h e r c h e


Cette voix parcourut un long chemin dans le cerveau d'Isa, qui finit par sortir de ses pensées et regarder Marion sans y croire.
- Pardon ...?
Mais la vieille ne répondit pas, et Isa s'approcha jusqu'à être en face d'elle, pour qu'elle la voie, et lui prenait les mains pour qu'elle la sente.

- Marion ... ? Tu m'entends ? Où est mon père ?

Après quelques secondes, les yeux de Marion revinrent à la réalité et observèrent ce visage qui avait tant grandi. Elle lui sourit de toutes ses rides

- Mon père me cherche ... ?
- t u d o i s r e n t r e r
- Où est il ??
- b o b b y

Ce nom qu'elle n'avait plus jamais entendu de la bouche de personne lui serra le coeur

- Non, mon père,
- s o n f i l s

Isa repensa à la lettre qu'elle avait lue, un jour dans la chambre de sa mère.

- ... ?

- ...


Devait-elle lui dire qu'Aaron n'avait jamais refait surface, et qu'il était probablement mort comme s'acharnait à lui répéter son frère, qui parlait désormais pour leur mère, qui s'esquivait lorsqu'il arrivait qu'Isa aborde le sujet ? Elle resta suspendue à ses lèvres, dans l'attente, car elle semblait vouloir dire encore quelque chose avec ses yeux qui s'accrochaient à elle, exprimant tellement de difficulté, puis de peine, et d'espoir, puis finalement une pointe de tristesse happée par une seconde de grande inquiétude, avant de s'échapper de nouveau, quelque part ailleurs, et Isa resta encore comme ça à attendre de longues minutes, et puis encore des heures, jusqu'à la tombée de la nuit.