La sonnerie, stridente, retentit. Orson grogne, par principe, et va ouvrir. Sur le palier l’attend un homme à la chevelure inexistante et au sourire pâle.

-Bonjour Orson...

-Docteur Stanford ? Le voyant fronce les sourcils, jette un coup d’oeil dans le couloir, comme pour vérifier qu’ils sont seuls.

-Qu’est-ce vous foutez là ? La question est brutale, jetée avec suspicion.

-Oh je passais dans le coin et je me demandais si vous alliez bien...  

Le regard bleuté du voyant perce le sourire artificiel du thérapeute qui soupir, vaincu.

-Et Sani est passée à mon cabinet. Elle s’inquiète pour vous.
A l’évocation de sa nièce, Orson est surpris mais se détend. Comme le thérapeute vient de prononcer le prénom magique, il consent à le laisser entrer.

-Merci.

Ensemble ils progressent vers le salon. Orson s'effondre dans son canapé, invitant l’homme à prendre place lui aussi.

- Est-ce que, votre visite, va me couter une consultation ?

-Non. Sani a déjà payé pour vous.

- Et vous avez pris son argent ? L’argent d’une gosse ?

Le thérapeute hausse les épaules.
-Je dois bien vivre Orson et elle est très insistante. Elle s’inquiète vraiment pour vous.  

Le voyant fronce les sourcils, à la fois mécontent et touché.
- Ouais et surtout elle apprend vite. Si c’est elle qui paye, elle sait très bien que je gaspillerais pas sa thune en vous foutant à la porte...

Il soupir.
- C’était pas la peine que vous vous déplaciez. Tout va très bien.


-Vraiment ? Alors pourquoi évitez-vous votre nièce ? Elle dit que vous vous êtes repliez. Orson : vous fréquentez quelqu’un ?  

Le blond frissonne, malgré lui.
- Non ça, ça risque pas. Crache-t-il avec mépris. Si vous inquiétez, pour ça, je vous assure que y’a rien de ce côté là.

Le docteur Stanford sonde son ancien patient avec insistance avant d’ajouter d’un voix posée :
-Je vous crois. Mais je crois aussi Sani quand elle me dit que vous n’allez pas bien et que vous agissez étrangement. Elle n’est pas du genre à s’alarmer pour rien..

Les doigts d’Orson pianotent sur le divan. Il sait que ce geste parasite va le trahir auprès du thérapeute… Mais il sait aussi qu’il est inutile d’essayer de jouer au plus fin avec le Dr Stanford. Pourtant : impossible de dévoiler la vérité à l’homme venu pour lui tendre la main.

-Ecoutez, je f’rais attention de plus alarmer Sani… D’accord ? Mais y’a rien qui mérite de reprendre des séances… C’est juste… Un passage à vide ? Vous voyez ?

-Je vois. Marmonne le chauve. Mais Orson sait bien qu’il ne “voit” pas vraiment… Le voyant comprend qu’il doit donner au médecin quelque chose à se mettre sous la dent… Il doit donner une justification à son attitude. Une excuse, à défaut de la vérité…

-J’ai eu une altercation… Avec une nana.  Lâche-t-il. Le psychologue relève le nez, comme un limier sur une piste: il a sentit quelque chose d'intéressant. Orson sait qu’il va devoir lui en donner plus, pour le satisfaire.

-Pour une connerie… J’l’ai un peu bousculé, sur un sujet épineux et elle m’a épinglé au mur.
Stanford ouvre les yeux grands comme des assiettes. Et encore, pense Orson… Si tu savais mon vieux… Si tu savais…

-S’pas allé plus loin… Elle s’est barrée après… Mais voilà… ça m’a peut-être un peu chamboulé, st’affaire là. Confesse-t-il en réalisant, qu’effectivement, l’incident l’avait marqué plus qu’il ne voulait se l’avouer.

-Ca vous a rappelé ce qui s’est passée avec Katie… Avance précautionneusement le thérapeute, et, à cette simple évocation, Orson réalise que son corps s’est contracté.

-Non Aboie-t-il sur la défensive.

-Enfin… Peut-être bien que si... Corrige-t-il, alors que dans son esprit la prise de conscience, doucement se fait…

-Mais c’était juste qu’une altercation… C’est passé maintenant.

-Orson… Vous avez été…

-Je connais mon histoire Docteur et j’sais faire la part des choses. Cette fille n’était pas Katie. Je l’ai provoqué et s’tait une erreur. Mais ça avait rien avoir avec Katie. Katie est en prison.   Le coupe brutalement le médium.

-Oui… Katie est en prison… Mais vous savez très bien que ce n’est pas la seule personne qui peut vous nuire…Quand on traverse ce que vous avez traversé, on ne guérit pas avec dix séances de psychothérapie Orson... C’est normal, que parfois, les souvenirs resurgissent. Spécialement dans une situation qui vous rappel ce qu’on vous a fait subir… Ecoutez… Tout ce que je veux vous dire, c’est de ne pas vous renfermer. Ne faites pas la même erreur deux fois. J’aimerais que vous repassiez au cabinet. Pour quelques séances, d’accord ?

Le blond aborde une mine boudeuse. Il grogne mais, finalement, cède.
-Si ça peut vous faire plaisir…

Le médecin semble satisfait. Il se relève et tend sa main qu’Orson attrape. Un fourmillement familier le traverse alors que la magie opère. Un souvenir de l’homme se dévoile devant les yeux du médium : Sani, insistante, qui tend l’argent vers le psychologue. L’homme le repousse doucement “Garde ton argent Sani. J’irais voir ton oncle, je te le promet.”

Un nouveau fourmillement et Orson revient au présent. Il lâche sa main du thérapeute
-S’être un type bien doc... Je vous raccompagne ?

Les mains dans les poches, Orson progressait dans le flot indifférent des passants. Il faisait beau ce jour là. Il y avait un beau ciel bleu, comme dans un film.

Arrivant à la place, il n'eut pas besoin de beaucoup de temps pour repérer le visage familier de Sani, sa nièce. Elle était assise sur "son banc", comme d'habitude. Il jeta un coup d'oeil à sa montre, il avait cinq minutes d'avance et Sani en avait eu dix. Comme d'habitude.

-Sani ! lança-t-il, en lui adressant un salut de la main. L'adolescente tourna son regard vers lui et il remarqua immédiatement la tension qui l'habitait.
Dans le sourire hésitant qu'elle lui adressa, alors qu'elle ressemblait ses affaires pour le rejoindre, il identifia comme un soupçon de crainte et alors qu'elle se planta face à lui, il vit immédiatement qu'elle prit une profonde inspiration avant de se lancer dans son discours, sûrement soigneusement répété:

-J'avais pas le choix ! Tu étais bizarre. Tu loupes jamais nos mercredis d'habitude, enfin... Si, mais pas deux fois de suite ! J'étais inquiète. Tes réponses à mes textos, elles étaient aussi chelou ! Je me suis dis qu'il se passait un truc, que tu voudrais jamais me parler. C'est pour ça que j'suis allée voir le docteur Stanford. Je sais que ça te mettrait en colère... Mais ...

-J' suis pas en colère. La coupa Orson d'un ton posé qui stoppa net l'adolescente dans son monologue.

Surprise, elle fit un pas en arrière, pencha la tête, fronça les sourcils et l’interrogea du regard.

-Tu n'es pas en colère..? Vraiment ?

-Non. Affirma-t-il en faisait flotter un sourire désarmant sur son visage si austère habituellement.

Prise au dépourvu, Sani baissa les yeux, glissa l'une de ses longues mèches noires derrière son oreille et lâcha un timide.  

-Ha... J'croyais que tu le serais...

Glissant un bras autour de ses épaules Orson la serra contre lui avant de lui lancer un complice :

-Tu sais très bien que j'suis incapable de t'en vouloir. C'est moi qui suis désolé...J'voulais pas t'inquiéter. T'as eu raison d’appeler Stanford.

Relevant son regard vers celui de son oncle, Sani lança un inquiet :

-Oncle Ors', il s'est passé un truc ?

Et comment... Aurait voulu lui répondre Orson. Il aurait voulu raconter Zira, la magie et ce qui l'avait empêché de dormir pendant des nuits... Mais ce fardeau-là, il ne pouvait pas le partager avec elle. Resserrant brièvement son étreinte, il se fit violence pour produire le plus faux des sourires qu'il avait en réserve et pour prendre un ton rassurant.

-Rien de très grave rassure toi.  
J'ai juste découvert qu'il existait un autre monde, qu'il y a des gens comme moi, que certains boivent du sang, que d'autres se changent en loups et c'est une vraie mafia qui guère tout ça...

-Bon et alors avec Alicia, tu as progressé un peu ? Raconte-moi ! On se pose au glacier ?  
Éluda-t-il, essayant de se confondre dans l'illusion que rien n'avait vraiment changé...

La sonnerie stridente retentit, déclenchant immédiatement dans l'appartement le cri strident du petit Tom qui se précipite à la porte en hurlant :

-C'est SANIIIII !

Orson, qui termine de vérifier que les lacets de Lisa sont correctement faits, se redresse et va ouvrir la porte.

Dans l’embrasure, il découvre sa soeur, avec son air si sérieux qui lui donne constamment une expression soucieuse et Sani, sa nièce, qui, elle, rayonne.

-Bonjour Orson. Nous ne somme pas trop en retard ? Questionne sa soeur en regardant sa montre d'un air pincé.

-Pile à l'heure. On vérifiait les sacs. Répond-t-il en élançant sa nièce pour la saluer. Avec sa soeur, il se contentera d'un signe de tête distant et ça lui va aussi bien qu'à elle. Tom et Lisa, du haut de leur six ans, se sont précipités sur Sani pour se pendre à son cou. Ravie, elle s'exclame :

--Hey ! Mais c'est mes crevettes préférés !! Vous êtes prêts pour aller voir, le vrai Mickey ?!!

Les dites crevettes répondent en coeur un superbe "OUIIIII" qui, a tout les coups, a réveillé tout l’étage, puis ils l'entrainent de force à l’intérieur pour lui montrer, sur le plan détaillé du parc, toutes les choses qu'ils ont prévu de faire.

Orson est resté à la porte, face à sa soeur qui le couve d'un regard soucieux.

-Cousin Denis t'a laissé les jumeaux ? Questionne-t-elle, avec comme une inquiétude dans la voix. Orson sait déjà ce qui va suivre, alors il inspire discrètement et prend un air dégagé.

-Oui, je lui ai proposé de les emmener, puisque j'y allais avec Sani. J'me suis dis que ça pourrait le soulager, et les petits n'y sont jamais allés en plus...

-Et il ne t'accompagne pas ?

-Non, tu sais bien qu'avec la chimio, il est épuisé ces derniers temps. Qu'il ne vienne pas, c'tait d'ailleurs un peu l'idée, comme ça il peut s'reposer.

-Mais, tu te rends comptes que tu vas devoir d'occuper de TROIS enfants ? T'es sûr que c'est une bonne idée ? et vue le ton dont elle fait preuve, elle, elle est convaincue que ce n'est clairement pas du tout une bonne idée.

-Attends, tu sais quoi, je vais venir avec vous. Oui, c'est plus prudent. Parce qu'avec deux petits enfants comme ça... lâche-t-elle alors qu'Orson la voit, avec horreur, dégainer son téléphone pour prévenir il ne sait qui qu'elle annule sa journée pour se greffer à leur petite sortie Disney. Faisant transparaître son agacement, il soupire.  

-Cornelia ! Puisque't' dis que je peux assurer seul !

Mais elle a le téléphone plaqué sur l'oreille et d'un geste agacé, elle fait taire ses protestations. Contrarié, Orson commence à serrer les poings, pour se retenir de ne pas lui arracher son téléphone et le lui coller dans le... quand Sani déboule à la rescousse.

-Non mais maman ! Qu'est-ce que tu fous ? S'insurge-t-elle sans se priver d'arracher des mains de sa mère, le téléphone qu'elle coupe sans autre forme de procès.

-Tu détestes Disney ! Et Oncl'Ors n'a pas besoin de ton aide pour gérer les jumeaux ! J'te signale, que c'est lui qui s'en occupe quand Denis est à l’Hôpital ! Alors arrête un peu ! Et en plus, moi j'suis plus une enfant. On se débrouillera très bien sans toi.  

Soufflée par l'audace de sa fille -il faut dire que Sani n'est pas le genre à se rebiffer de la sorte- Cornelia les dévisage et questionne son frère, septique :

-Denis te confie les jumeaux aussi souvent que ça ?

-Oui... Comme toi tu me confiais Sani quand tu étais de garde. Tu te rappels ? Et je te l'ai toujours rendu entière à ce que je sache. Réplique-t-il. L'argument fait mouche, et avec un geste altier, Cornelia récupère son téléphone qu'elle range en capitulant.

-Très bien... Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter.

-Parfait. Bon, notre eurostar est dans moins d'une heure, alors si tu permets, je vais vérifier que les petits ont tout.

-Et tu as pensé à...  

-Bonne journée Cornelia, tu pourras revenir chercher Sani dimanche soir. La coupe-t-il en lui fermant la porte au nez.

Pendant un instant, il reste là, la main sur la poignée. Sani et lui échange un regard.
-Merci, j'ai bien cru qu'on allait pas réussir s'en débarrasser.

--Moi aussi. Tu imagines l'angoisse ? Commente sa nièce en ayant retrouvé le sourire.  

Il ne reste plus que quelques minutes avant de devoir se rendre à la gare. Après un dernier check up, tout semble prêt.

-Il manque juste un dernier détail... et une seconde plus tard, Sani vient planter un truc sur la tête d'Orson avec un sourire satisfait.

Le souricier jette un coup d'oeil à son reflet et découvre, trônant dans sa chevelure indisciplinée, deux superbes oreilles de Mickey qui dénotent complètement avec cet air bougon qu'il cultive si soigneusement.

-Sani... Enlève moi ct' merde. Lâche-t-il en pointant du doigt l'objet de sa honte, mais loin de l'aider, l'adolescente a déjà dégainé son téléphone et *Clic* voilà qu'elle immortalise ce moment en riant. Trahi par son propre sang, Orson fait mine de s'insurger.  

-Sani, Tamil, Curt, Jeune fille, J'ai changé tes couches, tu m'dois l'respect !
Ce qui n'a pour seul essai s'amplifier d'avantage le rire de l'adolescente qui prend une voix moqueuse en s'approchant de son oncle pour lui pincer les joues.

-C'est qui le plus beau ? c'est qui ? mais oui, c'est bien Oncl'Ors ! C'est toi le plus beau
La scène, évidemment, a aussi fait rire les jumeaux qui se roulent par terre en se tenant le ventre, et pendant un instant, l'appartement si vide du médium vibre au son des rires d'enfants.

Décochant un sourire à son tour, Orson retire les fameuses oreilles pour les planter sur la tête de sa nièce à qui elles siéent bien mieux.

-Aller la marmaille. En route ! Clame-t-il en ouvrant la porte. Lisa est la première à passer la palier et elle s'arrête devant lui.

-CouZin Ors ?! Est-ce que z'aurais le droit d'avoir une robe reine des neizes ? Questionne-t-elle en plongeant ses petit yeux marrons dans la glace qui forge ceux d'Orson. Devant sa petit mine suppliante, le souricier sait immédiatement qu'il ne pourra pas lui refuser, mais, pour faire semblant d'être un adulte responsable, qui réfléchit avant de dévaliser la boutique souvenir, il lui répond, très sérieusement :
-On verra Lisa. Si t'es sage.

Un grand sourire illumine le visage de la petite... Et, même s'il sait aujourd'hui que ce n'est pas de la vraie Magie, le sourcier se dit que, ce sourire, c'est sûrement ça : "la magie de Disney".