Le 15 juin 2018

- Honey, ta mission s’est mal passée ? J’ai trouvé tes vêtements maculés de sang dans la baignoire…

Elijah ne daigna pas répondre à Lilith, beaucoup trop préoccupé par les événements récents.

- Tu sais, ça ne me dérange pas que tu disparaisses des jours durant, sans donner de nouvelles, pour ton travail… A dire vrai, j’ai même appris à aimer ces secrets, ces mystères, ça te rend encore plus sexy !

Elle se mit à rire nerveusement. Ce léger gloussement agaça d’autant plus le vieux sorcier. Il ne supportait décidément pas ces niaiseries. Surtout lorsqu’il essayait de retrouver son calme. Cependant, il ne laissa rien transparaître, il restait impassible, fixant la pénombre depuis le bord de la fenêtre. Il guettait chaque volute de lumière, chaque ombre mouvante, cherchant dans ce spectacle plein de contraste l’apaisement.

- Mais… Je suis là tu sais, je peux t’écouter, on ne s’habitue jamais à tuer ou à blesser une personne, même au nom du devoir… Moi, je ne te jugerai jamais, tu le sais ça ? Tu le sais que je t’aime et que je serai toujours là pour te soutenir ? Non, car c’est important que tu saches que tu n’es pas seul. Moi, je le crois en tout cas…

Malgré le silence d’Elijah et son manque flagrant d’intérêt pour elle, la théologienne continua son monologue, cherchant vainement un peu d’attention. Ce n’est qu’au bout d’une dizaine de minutes que le sorcier mit fin à son attente. Il se tourna vers elle, la regardant enfin. Aucun mot ne sortit de sa bouche, mais elle comprit.

- Bon… Euh… Je te laisse te reposer… Je… Je vais… Je vais m’occuper… de ton linge, oui c’est ça, je vais m’occuper de ton linge…

Sa voix était emprunte de peur, son corps entier était saisi de frissons. Le regard froid, distant et dur de son amant lui avait rappelé de douloureux instants. Elle savait que si elle ne partait pas, elle devrait dormir une fois de plus dans la chambre du No Face. Chose qu’elle s’était promis d’éviter à tout prix.

Enfin seul. Elijah pouvait penser et exprimer sa frustration sans se soucier du regard des autres. Libéré de ce poids, il laissa son corps trahir son émoi. Lentement, il quitta sa posture d'homme pensif, apathique pour arborer un visage torturé, en proie à une profonde colère. Dents serrées, sourcils froncés, il n'était plus que l'esclave de ses émotions. Emportés par ses dernières, ses doigts s'étaient enfoncés dans le velour vert de son fauteuil, le marquant à jamais. Cet acte avait pour but de canaliser sa rage, de l'empêcher de perdre une nouvelle foi la raison. La douleur, qui en résultait, se voulait cathartique.
Cette fureur qui l’animait n’était pas dû à sa précédente mission, ou du moins pas directement. Après tout, tuer une fugitive car elle refuse de se soumettre aux lois de la Triade, ce n’est qu’une autre facette de son travail, de son quotidien. Non, ce qui l’enrageait vraiment, c’était qu’à cause de cette mission, il n’avait pas pu être témoin de l’attentat du 12 juin. A la simple idée de rater une telle occasion, un tel spectacle son âme s’embrasa. Il aurait aimé voir de ses propres yeux ce désordre libérateur, cette anarchie salvatrice, cette valse des peurs et des passions affranchies de toutes contraintes, ce chaos rédempteur. Néanmoins il était trop tard, il n'avait pas eu cette chance. De plus, la mise en place de la zone noire allait compliquer toute récidive. La colère se changea en un amer fatalisme. Il ne pourra jamais goûté au plaisir d'assister à un tel divertissement.
Face à ce constat et fort de son pragmatisme, le vieil homme chercha une solution, un moyen d’apaiser l’aigreur qui le rongeait depuis ce jour maudit, de faire disparaître ce ressentiment qui l’avait poussé à tuer la païenne. C’est en entendant sa compagne chantonner qu’il sut.

- Mon amour, tu peux venir s’il te plait ? Dit-il d’une voix douce et pleine de regrets.

Surprise, mais ravie, l’amante transie accourut les mains encore pleines de sang. Aussitôt, il se leva pour l’accueillir. Il lui caressa la joue, lui sourit, puis la prit dans ses bras. Ce tendre et chaleureux câlin assurait à Elijah le pardon et lui évitait d’exprimer tout remord. Le sorcier profita alors de cette proximité pour murmurer son idée à l’oreille de Lilith.

- Tu devrais t’inscrire dans un comité de soutien aux victimes de l’attentat. Je suis sûr que tu pourrais être d’une grande aide en les écoutant, en les réconfortant. Quant à moi, le soir, je prendrai le temps de t’écouter pour que tu ne te fasse pas envahir par ces souvenirs traumatisants.