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Tout le chemin retour, elle se demanda comment elle allait annoncer la nouvelle à Orson. Ils n'avaient jamais abordé le sujet, étant entendu que cela était impossible. Elle ne savait même pas si il avait déjà envisagé le fait d'avoir des enfants auparavant.

Je lui pose sa main sur mon bide, et je lui laisse faire tout le travail… Non, non… trop d'un coup. Trop incertain. Trop weird. Encore plus que ça ne l'est déjà.
Un sms ? C'est bien un sms… Lâche, mais pratique… « N'oublie pas de racheter de l'huile d'olive. Ps : je suis enceinte. » N'importe quoi.
Des devinettes ? Quel animal a trois bosses ? Qu'est-ce qui est vert qui monte et qui descend ? Qui va devenir papa dans à peu près 8 mois ? Toi !
Qui va devoir ranimer son mec ? Moi…
Ou alors, je lui montre l'échographie. Il comprendrait ? On voit quand même pas grand-chose. Globalement, Milan est meilleur médecin que photographe.

Mille et un scénario pour amener la chose, et dans son esprit, pas un seul se finissait en happy end, avec des papillons, des roses, des cœurs, et un baiser qui dure une éternité comme seul Hollywood en a le secret. Elle se demanda ce que ferait Hugh Grant dans un moment pareil, et ce demanda ce qu'il pouvait bien devenir depuis le tournage de Bridget Jones 18. Bref, arrivée sur le pas de la porte, elle ne savait toujours pas comment elle allait faire, ce qu'elle allait dire, ou comment le futur père allait réagir. Un, l'annonce. Deux, l'explication… Elle faillit faire demi-tour une bonne dizaine de fois avant de franchir la porte d'entrée. En temps normal, elle aurait sans doute avalé une rasade de vodka pour se donner du courage…

… mais dans mon état…

Elle entra enfin.

Ors', t'es là ? Faut qu'on parle…

Elle entra dans la cuisine et le vit, les joues couvertes de larmes.

Non mais… Ca veut pas dire que je te quitte…

Il avait un couteau à la main.

Ouai ok… les oignons pour le repas…

Tu peux faire une pause, lacher ce couteau…

Désolée… y'a un précédent.

… et venir t'assoir.

Elle prit place en face de lui, et pris ses mains, comme elle le pouvait, dans les siennes.

J'ai une nouvelle à t'annoncer. Une bonne nouvelle… Mais j'appréhende vraiment beaucoup.

Elle se concentrait pour ne pas trembler. Pour ne pas trop trembler. Elle essayait. En vain, mais elle essayait.

Alors… Est-ce que tu peux me promettre d'essayer de ne pas m'en vouloir ?

Elle lui sortit son plus beau sourire attendrissant. Un savant mélange de Laura Ingalls et du chat de Shrek.

Clac.
La lame du couteau tranche la chair blanche de l'oignon et tappe sèchement la planche à découper. La fine rondelle vacille avant de se coucher sur le bois usé libérant ses substances irritantes en nuée comme par vengeance puérile.

Clac Clac Clac…

Les cadavres des rondelles s'empilent.

Clac Clac Clac…

La découpe se poursuit alors qu'aux bord des yeux d'Orson les larmes s'accumulent.

Saloperie de légume qui ne se laisse pas faire. Mais l'homme refuse d'abandonner, il est bien décidé à aller au bout de son carnage. Ça lui apprendra à ce fucking oignon à ne pas être une échalote.


Le duel s'achève sur la victoire du sourcier alors que Lucie revient.

Elle a une mine préoccupée qui fait froncer les sourcils d'Orson. Ça a l'air sérieux… Il n'aime pas ça, surtout qu'elle a dit 'faut qu'on parle"

-OK…

Elle lui sourit. Trop bien. Trop mignonnement. Qu'est ce qu'elle a encore fait ? C'est quoi le plan ? Ou l'absence de plan d'ailleurs, avec Lucie cette option est plus envisageable.

Il sent bien qu'elle cherche ses mots… Ses mains sont dans les siennes et il sent bien qu'elles sont moites… Il sent qu'elles le serre fort… Il sent qu'elles se retiennent de trembler.
Il sent sa peau contre la sienne et le fourmillement de sa magie qui s'éveille. Le souvenir le prend.

Les mains de Lucie qui caresse le bord de son ventre toujours enduit de gel alors que l'homme à côté range la sonde à échographie en lui indiquant les précautions à prendre pendant la grossesse…

La quoi ?

Comme électrocuté Orson arrache ses mains de celles de la jeune femme. Il la regarde, puis regarde son ventre toujours plat. Ses yeux font des allers et retours frénétiques.

-Tu es …. ? Comment … ?

Il connaît son histoire. Il sait pour sa stérilité… Cette vision n'a pas le moindre sens… Il est perdu. Enfin... plus que d'habitude. Et il se souvient de ses paroles "Est-ce que tu peux me promettre d'essayer de ne pas m'en vouloir ?" qui, brutalement, lui glace les entrailles. Et si... et si... une idée lui traverse la tête, lui transperce le cœur.


-Attends... C'est bien le mien ? Pourvu qu'elle ne réponde pas "non", où qu'elle lui mente bien.

Comment ? C'était précisément la bonne question. La question à laquelle elle aurait voulu qu'il réponde seul, avec son pouvoir décidément difficilement domptable. Elle pensa un instant s'en sortir par une pirouette ; sortir une bouteille de lait du frigo, lui faire tout un discours sur l'industrie laitière, ou à lui faire un dessin de « comment on fait les bébés »… Mais après quelques secondes de gymnastique oculaire, il lui donna l'échappatoire idéale.

Principale préoccupation, sa virilité, son statut de procréateur. Pas de doute, c'est bien un mec…

Elle sourit, les yeux grands ouverts, les coins se plissant. Etait-ce seulement possible, ce regard mi-étonné, mi-rieur ?

Bien sur que oui, espèce de gros bêta ! Tu penses vraiment que j'aurais parlé d'une bonne nouvelle sinon ? Je ne t'ai jamais trompé et ne le ferais jamais… A vrai dire, c'est vexant que tu puisses même l'imaginer.

Il est beau quand il est jaloux.

Il lui sembla soulagé mais elle savait bien qu’elle ne pourrait pas éviter une explication sérieuse bien longtemps.

Pour ce qui est du comment… Comme je suppose que tu connais globalement les bases de la fécondation humaine, on va passer cette étape. Sache que c'est bien ton enfant, et que je n'ai pas bénéficié d'une FIV ou autre. Cependant, il y a bien eu une intervention médicale pour en arriver là. C'est scientifiquement assez complexe – et totalement expérimental – et je ne suis pas certaine de tout comprendre moi-même, mais… ça pourrait s'apparenter à de l'autogreffe utérine magicalement assistée.

Elle lui repris la main pour l'attirer sur le canapé.

Si je suis si nerveuse, c’est que j'ai conscience de pas mal de choses.
Tu sais… mon dernier voyage à Paris, fin 2018. Ce n'était pas pour les affaires. Il y avait une conférence sur la régénérescence cellulaire. laEt j'y ai rencontré un homme… un médecin.

Celui qui m'avait sauvé la vie…

De fil en aiguille, je suis rentré dans un protocole expérimental. J'aurais dû t'en parler, te demander ton avis… Mais j'avais peur. Peur que tu veuilles, mais que ça ne marche pas. Peur de te décevoir.  Peur que tu ne veuilles pas en entendre parler. Peur du conflit. Tu sais, si tu m'avais dis non… Tu me connais,  tu sais que j'aurais entendu oui, que je n'en n'aurais fais qu'à ma tête…
J’ai conscience que j'ai fais ça toute seule, dans ton dos…
Mais, et ça m'angoisse tout autant, j'ai conscience que j'ai besoin de toi. Nous avons besoin de toi. J'ai conscience que la période est très très très mal choisie… Devenir parents dans un monde pareil, ça parait irresponsable. Mais devenir mère célibataire…

Elle fondit en larmes, rendant la fin de son discours inaudible.

Et toutes ces foutues hormones, je n'ai plus l'habitude.
Je suis désolée.

Il y a des discussions pour lesquelles ont est prêt et d'autre pas. Celle-ci faisait partie de la deuxième catégorie.

Orson se serait bien pincé, pour vérifier qu'il ne rêvait pas, ou qu'il ne cauchemardait pas... Il n'arrivait pas à savoir ce qu'il ressentait. Lucie lui parlait du protocole, du plan, de l'assistance médicale... Elle avait cherché a avoir ce bébé, mais elle l'avait fait fait seule. Sans lui en parler. Elle s'était servi de son sperme et il avait l'impression étrange d'avoir été volé.

Et... Bordel, sa magie ne lui avait rien dit non plus !

Il avait du mal à tenir en place. Elle cherchait à l'attirer sur le canapé, mais il se déroba à son contact et commença à faire les cent pas.

Si elle lui en avait parlé avant comment aurait-il réagit ? Avec rationalisme, c'était évident. Être papa, c'était un rêve lointain qu'il avait eu jadis et qui s'était perdu... Avec Lucie, il n'avait pas osé y penser. Il se souvenait trop bien du souvenir qu'il avait intercepté, de la douleur qu'il avait ressenti... A l'époque, drogué, il avait ressenti le souvenir comme si cela avait été le sien. Jamais il n'en avait reparlé. Par égard pour Lucie et aussi parce qu'il savait qu'il n'aurait pas trouvé les mots...

-Oui. Tu aurais dû m'en parler. Lâcha-t-il d'un voix dont il n'arrivait pas à masquer l'amertume. Alors qu'il luttait contre la colère qui montait doucement, de vieux souvenirs remontaient à la surface... Il ferma les yeux, se pinça l'arrête du nez, inspira profondément. C'était pas le moment de laisser ses vieux démons le harceler... Et pourtant, il les sentait bien rôder au abord de son âme.  

-C'est un truc à vous ça les femmes hein... Nous foutre le couteau sous la gorge pour nous retenir de force ! Pour obtenir tout ce que vous voulez.Aboya-t-il.

-Pourquoi tu m'as fait ça Lucie ?! POURQUOI ? Tu n'as pas confiance en moi c'est ça ? mais, bordel qu'est-ce que je t'ai fait pour que t'ai pas confiance en moi à ce point ?! Hein ?!

ça y est, il commençait à avoir les mains qui tremblaient.

-Tu aurais pas dû faire ça Lucie... Tu aurais pas dû me faire ça... J'ai toujours été là pour toi. Et toi... Tu t'es servi de moi.  

Il détourna le regard, comme si brutalement, la regarder était trop douloureux. Pendant un instant, il souffla avec amertume et ajouta, non sans cynisme :

-Nous deux, c'était trop beau c'est ça... ça a jamais existé en fait. Me suis encore fait avoir...

En fait, à bien y réfléchir, il aurait peut être préférait que ce mioche ne soit pas le sien. Peut être que l'adultère aurait été préférable à ce sentiment désagréable qu'elle ne lui laissait pas vraiment le choix.  

-Nous deux ça n'existera plus... Garde le ce bébé que tu voulais tant. Mais on ne sera pas une famille. Je ferais ma part. Ce petit, je l'abandonnerai pas, parce qu'il y est pour rien. Mais toi et moi, c'est fini.  

« Tu aurais dû m'en parler. C'est un truc à vous, les femmes… Un couteau sous la gorge. » Elle baisse la tête, honteuse. « Pourquoi tu m'as fais ça ? Pourquoi n'as-tu pas confiance en moi ? » Elle recevait la colère d'Orson comme des coups en pleine âme. Des centaines de coups, terribles. « Tu t'es servi de moi. » Elle chancèle. « nous deux, ça n'a jamais existé ». Elle s'effondre, la tête enfouie dans les coussins du canapé. Et vint le coup fatal, l'uppercut, la mise à mort « nous deux c'est fini ».

Elle étouffa un râle en mordant dans le coussin.

Va te faire voir Orson Curt !

Elle se redressa lentement, et lui adressa son regard le plus noir. Si noir qu'il lui sembla que ses yeux n'étaient plus verts.

On ne me quitte pas moi monsieur !

Évidemment que j'aurais dû. J'aurais dû. Et si j'avais su. Et si et si… Tu crois que c'est si simple ? Tu penses vraiment que je n'ai pas essayé ? J'ai tenté d'aborder le sujet, mais tu n'entends rien ! Tu n’entends rien, et tu ne vois rien, monsieur le voyant ! Si tu veux mon avis sur ton pouvoir ; tu ne vois que ce que tu veux ! Surement un truc à vous, les hommes…

Elle s'était relevée. L'heure était à la contre-offensive. Idéale pour rendre la situation encore un peu plus merdique !

Tu parles de confiance ? De confiance en toi ? Tu ne comprends rien mon pauvre ! Tu penses qu'il s'agit de toi ? Tu ne comprends rien. Il ne s'agit pas de toi là. C'est en moi que je n'ai pas confiance.

Égocentrique. Putain, c’est mon corps, j'en fais ce que j'en veux !

Elle déambulait dans le salon, en rond. Ou en huit peut-être.

Je pensais que tu en avais envie ; tu aurais fais un père formidable. Je pensais que tu n'osais pas en parler sachant que je ne pouvais pas. J'avais peur de te décevoir, si ca ne fonctionnait pas. Ah. Belle réussite. Bravo Lucie ; pauvre conne.

Elle stoppa ça course quelques secondes, secouant sa tête.

Tu ne te rends même pas compte de tout ce que j'ai enduré pour en arriver là. Les traitements, l'opération, les vomissements, les vertiges, mes premières règles… une seconde fois ! Les hormones, les vomissements, les séances de thérapie magique, les prises de sang. Les vomissements… Tu ne t'es aperçu de rien. Et j'étais seule. Tout ce temps. On vit sous le même toit non ? Pourtant, j'étais fucking seule, Orson.

Tu ne peux pas voir ce que tu refuses de regarder.

Elle souffla. La colère remontait en elle.

Et toi, tu m'en veux parce que… je me suis servi de TON sperme ? Il me semble que t'étais bien content de te servir de MON vagin… T'es juste vexé dans ton orgueil de mâle. Mais, te gêne pas, si je t'ai violé, crée un hashtag. #metoomacopinesexynemapasdemandémonaccordpourtomberenceinte.
Puis merde. J'en ai ma claque !

D'un pas décidé, elle alla chercher une valise dans le placard du couloir puis alla dans la chambre, bousculant légèrement Orson au passage.
Elle ouvrit la penderie, pris des robes, des pantalons. Elle ouvrit ensuite un tiroir, et mit dans la valise des sous-vêtements, des t-shirts, pull, chaussettes, collants… et fini par tirer le tiroir entièrement pour le vider en le retournant dans la valise, en pleurant.
Elle ferma la valise. Ou plutôt elle essaya… poussant de toutes ses forces dessus. Y mettant tout son poids.

Ca ferme pas… tu vas fermer oui !

Non. Elle s'étala, effondrée sur la valise entrouverte et pleine à craquer, la tapant de ses poings fermés.

Ca devait être un des plus beaux jours de nos vies. Un nouveau départ. Une famille enfin. Pour moi. Pour toi. Pour nous… Une famille, Orson.

Renifle.

Tu comprends. Une famille. C'est moi ta famille. Tu le sais. C’est nous ta famille…

Il est vrai que depuis l'arrivée du Dôme, les relations qu'entretenait Orson avec sa famille s'étaient passablement assombris.

Voilà, on y est : c'est le moment des reproches.
Maintenant, c'est sa faute à lui :

"Tu n’entends rien". "tu ne vois rien". "tu ne vois que ce que tu veux". "Tu ne comprends rien mon pauvre". "Tu ne t'es aperçu de rien". "j'étais fucking seule, Orson." "Tu ne te rends même pas compte de tout ce que j'ai enduré pour en arriver là"

Il connait ce refrain. Il le connait trop bien. Il fait résonance en lui. A une autre histoire. C'est l'autre qui merde, mais il serait responsable. Une goutte de sueur froide lui glisse sur la nuque alors que les paroles de Lucie s'emballent :

"T'es juste vexé dans ton orgueil de mâle. Mais, te gêne pas, si je t'ai violé, crée un hashtag. #metoomacopinesexynemapasdemandémonaccordpourtomberenceinte."

La discussion prend un virage qui réveil de mauvais souvenirs. Ça lui fait comme un coup de poing dans l’estomac. Une brusque envie de vomir. Il s'accroche à une commode. Sa main se serre sur le bois alors qu'il ferme les yeux et empêche les souvenirs de remonter.

Non. Lucie n'est pas Katie. Lucie n'est pas Katie. Lucie n'est pas Katie.

Il se répète ça, ça le rassure, mais ça lui ouvre un peu les yeux... ça lui ouvre les yeux sur ce qu'il savait déjà mais qu'il refusait de voir. C'est vrai... Lucie n'est pas Katie, mais cela ne fait pas de leur relation quelque chose de sain. Ça il le savait sans se l'avouer. C'est pour ça qu'il n'a que très rarement parlé de Lucie à son psy et qu'il a intentionnellement éludé les questions sur cette relation. Parce qu'il ne voulait pas qu'on lui dise ce qu'au fond de lui il savait déjà : Lucie avait un besoin maladif d'attention et d'amour et lui, Orson, ne pouvait pas la sauver de ça. Il ne pourrait jamais lui donner assez. Il ne pouvait pas la sauver.

Alors, il la regarde batailler avec sa valise, froidement. Il étouffe ce petit Orson au fond de lui qui veut absolument l'aider et s'excuser pour tout le mal qui lui a fait. Ce petit Orson, si serviable, prêt à tout pour se faire aimer d'une mère qui continuera à l'ignorer. Ce petit Orson qui s'excuse pour tout les défauts qu'on lui donne sans la moindre estime de lui-même et qui accepte qu'on le traite comme un moins que rien parce qu'on l'a persuadé que la faute ne pouvait venir que de lui...

C'est son psy qui lui a expliqué ça... Qu'il y avait une partie de lui qui cherchait tellement à être aimé d'une femme qu'il était prêt à tout pour que la femme en question l'aime. C'est ce qui expliquait qu'il soit tombé si facilement sous l’emprise de Katie. C'était son point faible. Sa Kriptonite. La raison qui explique qu'il aime de façon aussi bancale. La raison qui l'a poussé à éloigner toute personne de la gente féminine de son entourage après le procès contre Katie, jusqu'à ce que Lucie débarque dans sa vie...

" C'est moi ta famille. Tu le sais. "

Famille. Le mot lui renvoi un rêve qu'il étouffe immédiatement. Ce mot là est un piège, comme le mot "Amour". Il ne doit pas s'y laisser reprendre.

-C'est toi qui a choisi de faire ça seule Lucie. Réplique-t-il.

-Tu m'as rien dit et tu viens m'accuser d'avoir rien vu. Tu veux que j'te dise Lucie : si tu comptais sur mon pouvoir pour que je découvre moi-même ce que t'avais pas les couilles de me dire, faut pas t’étonner que je claque la porte. Si ce que tu voulais c'est que je viole des souvenirs, que je m’immisce dans les secrets que tu prenais soin de ne pas me divulguer, que je te flic parce que j’avais des doutes sur ce que tu faisais de tes journées, tu t'es planté de gars. Et si tu voulais quelqu'un qui voit ce que tu dis pas, moi j'pouvais rien pour toi. T'aurais mieux fait de te taper un psy.

Ajoute-t-il en cherchant les clefs sur le porte clef.

- D'ailleurs, un psy tu d'vrais aller en voir un. Parce que si t'as aussi peu confiance en toi que ce que tu me dis, non seulement c'pas à moi de régler ce problème, mais ça sera pas non plus celui de notre enfant. Alors si tu veux pas devenir une maman menteuse et dysfonctionnelle, s'rait temps de te prendre en main et d'grandir. Parce que si l'gosse a mon pouvoir, j'peux déjà te prévenir qu'il faut pas compter sur le fait que vos relations soient bonnes, si tu ment comme tu l'as fait avec moi.

Il glisse sur elle un regard entendu, parce qu'elle même sait de quoi il parle... Puis il va chercher sa veste et l'enfile.

-Prends ton temps pour ranger tes affaires. J'te laisse l'appart pendant quelques jours. J'vais dormir chez un ami.

Il jette un coup d’œil à la cuisine.

-Ah. Et le repas est prêt.

Il enfile ses gants, ceux qui lui permettent de ne pas être assailli par milles souvenirs à la moindre poignée de porte. Un doute le prend, alors avant de passer le pas de la porte,

-Aussi... Si jamais il t'viendrait à l'esprit de partir sans me donner de nouvelles de notre enfant... J'te retrouverai.

Il laisse planer la phrase pour qu'elle comprenne qu'il ne ment pas. Puis il passe la porte et compose un numéro : celui de son psy.

-Allô ?! Mr. Stanford ? Dites, z'auriez une place pour une séance demain ? Faut que je vous parle...

Elle était restée là, le regard baissé, à califourchon sur sa valise, à encaisser les coups au coeur. Elle devrait voir un psy, sinon elle deviendra une mère menteuse et dysfonctionnelle.

Dysfonctionnelle... T'en as d'autres des portes ouvertes à défoncer comme ca ?

Elle était restée muette, serrant le point lorsqu'il l'avait mise en garde sur un possible départ. Elle bouillonnait, mais restait silencieuse. Elle ne bougea pas plus lorsque la porte d'entrée claqua. Jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'il partait. Il partait vraiment. Ce n'était pas seulement une dispute, une grosse engueulade qui se finirait sur l'oreiller.

Elle se précipita dehors, pieds nues. Trop tard. Orson était déjà hors de vue, et la pluie qui s'était mise à tomber comme un signe n'aidait en rien. Elle cria.

ORSON !!

Ses cris se mêlant aux pleures, ses larmes se mêlant à la pluie. Lucie, trempée de la tête aux pieds, le maquillage dégoulinant, frappant la porte d'entrée de ses poings.

Connard ! Connard ! Et j'me suis déjà tapé un psy ! C'était pas top... Connard ! Putain de salaud ! Mais je t'aime moi... JE T'AIME... Putain...

La scène avait attiré les regards des curieux. Elle décidait de rentrer, la main ensanglantée, foudroyant du regard les voisins indiscrets.

Je vous emmerde.

Elle entra donc, regarda la cuisine ; le repas était prêt, en effet. Elle eu un haut-le-coeur. Ca avait l'air délicieux, mais le problème n'était pas là.

Il me quitte, le pire moment de tous les temps, mais il continue à faire suer des oignons, revenir des courgettes... Et c'est moi qui suis dysfonctionnelle...

Elle attrapa machinalement une bouteille de téquila.

Shit !

Elle la déboucha, s'en versa une lampée sur la main et l'envoya s'éclater contre le mur.

Elle prit son téléphone, ouvrit spotify, playlist spéciale rupture.

Allllll Byyyy MyyyySellllf. D'ont wanna be... Allllll Byyy
 MyyyySeeeeelllfff. Anymore...

Elle se demanda si elle pouvait confectionner une potion qui lui mettrait la tête à l'envers, sans risque pour le bébé, mais eu la présence d'esprit de demander son avis à Dr James. Elle essaya de l'appeler mais tomba directement sur son répondeur.

Ils m'abandonnent tous.

Toujours la musique à un niveau plus haut que les conventions sociales exigeaient, elle entreprit de mettre le repas dans une boite en verre pour l'entreposer au réfrigérateur, mais les nausées la reprirent instantanément, et elle du foncer aux toilettes pour y déposer tripes et boyaux, ou plutôt les reste d'un muffin qu'elle avait avaler sur la route.

Elle resta assise dans cet état pitoyable, sur le sol froid de la petite salle, cheveux ébouriffés, maquillage coulant à souhait, bouche pâteuse, vêtements mouillée, culotte souillée du gel échographique, pieds noircis par le trottoir londonien.

Une potion... remplaçant le souvenir de ce soir, par un autre. Un où nous aurions pris cette décision ensemble... En couple... En famille... Un souvenir où nous serions heureux. Ensemble. Une potion ou un effaceur... Si seulement c'était aussi simple.

Elle regarda son portable. Son doigt hésita quelques minutes entre appel et SMS, rédigea des messages qu'elle effaça sans les envoyer, puis se résolue à ne pas contacter Orson. Elle jeta un œil à son répertoire. Elle était littéralement seule. Elle n'avait strictement personne vers qui se tourner.

Plus résignée que décidée, elle se leva, se dénuda, et se fit couler un bain.

Elle entendit comme un bruit venant de la porte d'entrée, espéra qu'il s'agissait d'Orson qui revenait, un bouquet de rose à la main, s'excusant platement d'avoir surréagit, la demandant en mariage sur le champ... Ca toqua plus franchement.

C'est pas un peu finit tout votre bordel là ! J'vous préviens, si vous me couper pas cette merde tout de suite, j'appelle les flics !


Elle coupa la musique, ouvrit la porte, à peine couverte d'une serviette.

C'est bon... J'ai éteins ! Content ?

Fumier.

Et elle claqua la porte derrière elle. Puis fila se glisser dans l'eau, ferma les yeux, et posa une main sous son nombril.

Ca va aller. Je te promets que tout ira bien.

Comme pour se convaincre elle-même.

Elle sortit au bout d'une heure, bien plus détendue. Il faisait nuit noir désormais. Elle se vêtit - elle avait pris l'habitude de ne plus dormir nue _ puis alla fouiller dans son sac, sortit un petit papier que lui avait donné le médecin. Elle prit en photo le cliché d'échographie, hésita un instant puis l'envoya au futur père.

Elle ne cherchait pas à le convaincre de quoique ce soit, simplement à l'impliquer un minimum, et lui rendre la place qui lui était du.