Blake Smith.
Blake Smith.
Blake's Myth.
Blake Smith.



Il l'écrivait encore et encore.
Ce nom ne lui évoquait rien.
Il ne ressentait rien.
C'était parfaitement normal, puisqu'il était amnésique.

On l'avait dit "effacé". Et en apprenant à connaître la société, il avait compris qu'il était possible, probable vu les effets d'un "effacement", que ça soit vrai.

Et qu'on lui avait fait quelque chose, à lui et à ses parents, auprès desquels un matin il se réveilla seul ; ils étaient morts.

Il ne se souvenait de rien. Il n'avait pas réellement conscience de ne pas se souvenir, c'était un très jeune enfant. C'était comme de naître, mais avec déjà des repères.
Et il avait vécu depuis, vingt-trois années, avant de se rendre compte un beau jour et par un concours de circonstances, qu'il n'était pas un loup qui avait été adopté par un vieil homme bienfaiteur, mais un païen qui avait ignoré qui il était.

De son vivant dans la nature, il n'a pas trouvé sa place auprès des autres loups, et il les a évités. Il était plus attiré par les humains, étrangement, et cela lui paraissait naturel.

Et il renaissait encore à présent, en redécouvrant son environnement d'un point de vue humain ; il était assailli régulièrement d'impressions vagues, de bribres de souvenirs imprécis. Et plus récemment, de cauchemars.


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Depuis qu'il avait reçu ce courrier de la Triade faisant mention de son inscription au registre, une insidieuse anxiété grandissait en lui, nourrie entre autres par ses cauchemars plus fréquents de Monstres sans visage au milieu des bois enneigés.

Marcus, un ami païen auquel il lui arrivait de se confier, lui parla d'un médecin, ici à Cristal Palace, dont il avait entendu parler, et qui se spécialisait dans l'étude de la mémoire.
Alors il avait pris rendez-vous.



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C'est l'heure.
Fang referme son livre de géographie et le range dans son sac. Il est assis par terre, sur sa veste. Il s'habille et part. Il traverse de grands espaces ouverts équipés de tables d'étude où travaillent des jeunes gens. Un couloir, un ascenseur, d'autres couloirs ...

« 7 octobre 2019 point à la ligne Cas n° 764 point patiente âgée de 25 ans point date de l'effacement 2 janvier 2019 point début des essais clinique le 13 juillet 2019 point injection numéro trois point la patiente ne présente plus d'état d'agitation point les constantes sont bonnes malgré une légère élévation du rythme cardiaque point la courbe de l'activité cérébrale montre une parallèle … »

- T'as prévenu le nettoyage James ? Histoire d'embarquer ce qui restera d'elle après ?
- Driver… Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Le théologien repoussa son siège et se tourna vers l'homme qui venait d'entrer dans le laboratoire.
Ce dernier contourna lentement le lit médicalisé faisant mine d'observer la jeune femme qui s'y trouvait, inerte. Il s'attarda sur les perfusions de ses bras, observant le nom des molécules avec beaucoup d'intérêt, souleva les feuilles du carnet d'observation, provoquant un rictus d'agacement chez son collègue.

- Je venais seulement te prévenir…
- Le bâtiment brûle ?

L'homme releva la tête, surpris et fixa le théologien de ses yeux clairs.
- Pardon ?
- Tu dis vouloir me prévenir. J'en déduis qu'il y a une urgence.
- … J'ignorais que tu faisais dans le comique… Non, je voulais te prévenir que tu perds ton temps.  
- C'est très aimable de ta part.

L'effaceur se leva avec tout le calme apparent dont il était capable et contourna la patiente à son tour.
D'un geste sec en dépit d'un visage affable, il retira les fiches d'observation des mains de l'autre.

- On m'a dit que tu avais déposé une demande pour des essais sur des volontaires… Tu penses sincèrement pouvoir trouver des gens assez fous pour confier leur cerveau à tes expériences ?
- Nous avons obtenu d’excellents résultats sur les derniers essais.

L'autre réprima un petit rire nerveux et se gratta la nuque, tout à la réflexion de ce qu'il était convenable de rétorquer.

- S'amuser sur des légumes c'est une chose James. Tenter ça sur des personnes conscientes et bien réelles, c'est entrer dans la cour des grands. Ça me parait trop ambitieux pour ton âge. Railla-t-il en ouvrant un classeur au hasard.

Reportant son attention sur la patiente dont la poitrine se soulevait régulièrement au rythme des instruments qui la maintenait sous respirateur, le théologien prit un léger instant de réflexion avant de répondre.

- Tu as raison, je suppose que de ton côté tu as des choses bien plus importantes à faire. Je ne voudrais pas te faire perdre ton temps plus que nécessaire avec mes bêtises. Lâcha-t-il finalement en agrémentant ses propos d'un sourire aimable et en désignant la porte d'un mouvement explicite.

L'autre se raidit un peu et referma le classeur d'un coup sec avant de le jeter sur l'une des tables.

- Ne joue pas au plus malin avec moi, James … On en reparlera dans 6 mois quand tu auras perdu ton essai clinique et que tu viendras me supplier de te confier des souris à stériliser. Railla Driver en jetant un œil méprisant à la pièce.

Renonçant à conserver plus longtemps son sourire poli, Milàn se rapprocha de son collègue, le visage fermé. Dépourvu de sa bienveillance factice, il abordait des traits soudainement plus durs et offrait un regard froid à l'homme qui n'était plus qu'à quelques centimètres de lui maintenant.

- Dans 6 mois … je dirigerai ton service Driver.






Les mains jointes devant le visage, le théologien observait l'écran de l'ordinateur avec beaucoup d'attention. Son bureau méticuleusement impeccable contenait des rangées de dossiers noirs classés tantôt par années, tantôt par ordre alphabétique. Tous étaient numérotés, soigneusement disposés sur les étagères qui ornaient les murs. La pièce était épurée au maximum. Un bureau, une chaise face à la sienne, un ordinateur, une plante verte. La fenêtre holographique laissait constamment filtrer une lumière douce et agréable en dépit de celle de l'extérieur.

Sur l'écran, le dossier d'une femme. Brune d'après les photos. La quarantaine, cheveux frisés. Milàn déplaça la souris jusqu'aux enregistrements et lança le dernier. Sa propre voix égraina la date et se tut pour en laisser une autre, féminine, poursuivre.

« … Il pleuvait je crois. Oui … je pense que c'était un soir de pluie. Je me rappelle d'une cabine. C'était l'anniversaire de ma tante Megg vous comprenez… j'avais oublié mon portable alors je me suis dit que je pouvais… il me restait quelques pièces. C'est fou parce que… il n'y en a plus maintenant. Des cabines je veux dire. »

La voix marqua un temps d'arrêt. L'autre l'encouragea. « Helena, pouvez-vous me dire ce qui s'est passé ensuite ? Avez-vous pu téléphoner ?

- J'ai… Oui je me souviens avoir composé le numéro et .. ensuite… Ensuite… je me suis retrouvée au sol. Le combiné…pendait je crois et…»

- Docteur ?

Milàn arrêta l'enregistrement et redressa la tête. Dans l'encadrement de sa porte, une jeune femme blonde. Il ne l'avait probablement pas entendu frapper.

- Docteur je suis désolée de vous déranger, mais votre rendez-vous de 15h est arrivé. Dois-je l'envoyer en salle d'examen ou le faire entrer ?
- Vous pouvez le faire entrer. Merci Cynthia.

Le théologien referma rapidement le dossier de la patiente avant d'en ouvrir un nouveau.

- Bien. Ah... docteur? Un livreur a déposé pour le labo 40 souris, dois-je les faire porter directement au sous-sol?
- Faites les amener dans le bureau de Driver, il saura quoi en faire.
- Très bien docteur.

*****







Fang n'avait encore jamais consulté un médecin.
Assis face à lui, dans ce bureau silencieux, il était intimidé ; mais il avait longuement réfléchi à ce qu'il souhaitait dire lors de cet entretien, et espérait qu'il obtiendrait satisfaction à ses attentes. Aussi il décida de rentrer rapidement dans le vif du sujet :




- On m'a dit que vous êtes un médecin de la mémoire, (il était très sérieux bien sûr ; Fang c'est quelqu'un de sérieux ; et on sentait bien que tout ça lui demandait un certain effort) et j'ai besoin de comprendre la mienne.


Il s'ancra un peu mieux dans sa chaise et croisa ses mains,
ce qui lui donna un peu plus de courage.


- C'est très bizarre. Il y a un an, je suis devenu un humain alors que toute ma vie, j'avais été un loup.
Depuis que je suis un humain, parfois ... J'ai quelques souvenirs qui reviennent, d'une autre vie où j'ai déjà été un humain. Je devais être enfant.


Il ne lâchait pas des yeux le Docteur James, car il voulait être sur que celui ci comprenne bien ce qu'il était en train de lui raconter, et qu'il le croie, également.


- J'ai retrouvé l'endroit où je vivais, c'est abandonné, et ça m'a rappelé encore des choses. Je sais que ces choses sont vraies. Je crois que j'avais une famille - une meute - mais j'ai oublié ce qui est arrivé ... Pourquoi ces personnes ont disparu et pourquoi je les ai oubliées, au point de croire vraiment que j'étais un loup ...


Il marqua une courte pause pour mesurer l'effet de son récit, et reprit :

- J'ai besoin de me souvenir, je veux savoir ce qui est arrivé aux gens de ma famille, car je veux les retrouver. Ca m'obsède, tout le temps. Je fais aussi beaucoup de cauchemars, où je vois des choses parfois horribles - et je pense qu'elles sont vraiment arrivées - et je veux comprendre, d'où ils viennent, pourquoi ils me font aussi peur ...,



Il était dans un élan pour poursuivre, mais il s'arrêta là.


- Vous pouvez m'aider ?